Le jour où j'ai manqué de souffle
Voici un billet que j'ai besoin d'écrire depuis bientôt dix jours et que j'ai repoussé sans cesse. A quelques jours du drame, je suis à présent suffisamment en paix pour pouvoir le faire.
J'ai d'abord connu L. comme une absence : elle aurait voulu pouvoir assister à une sortie, mais n'avait pas pu y aller. Tous ses camarades s'étaient faits, en ce matin de septembre, le relais de ses regrets. Deux semaines plus tard, je la découvrais : fragile et volontaire, terriblement charmante sous ses longs cheveux blonds, dans sa veste kaki. Une heure avec elle, à lui expliquer le Petit Palais, pendant que les autres faisaient leur interrogation, et j'étais conquise par son enthousiasme. L. adorait les Beaux Arts ! Il fallait la voir s'animer en cours, se tourner vers les autres et leur parler de Duchamp avec tant de passion que tout à coup, ils étaient ralliés et dépassaient leurs préjugés premiers. Et puis, un autre soir, au théâtre, intimidée, tellement fragile, et déjà bonne actrice avec tant de choses à faire affleurer. Hésitante, intimidée, mais marchant sur son fil comme une danseuse, dépassant avec grâce ce qui la retenait.
Il y a dix jours, L. est rentrée chez elle et s'est pendue. L'année n'est pas finie qu'elle se recourbe comme un poing sur son absence, une absence terrible qui m'a frappée au ventre mardi dernier. Toute la journée, j'ai étouffé, cherchant mon souffle sans jamais le trouver, cherchant mon équilibre et le voyant se dérober, mais tenant, tenant pour les élèves et pour moi aussi, reliée à eux par cette tristesse du fin du monde qui fait dire à quoi bon à tout. L. morte, notre petit lycée était tout d'un coup abandonné par la grâce et hanté par elle : je ne cessais de la voir, le sourire aux lèvres et un léger tremblement dans la voix m'expliquer pourquoi elle avait fait une boîte musée sur Barbie : la femme que toutes les petites filles et que toutes les femmes voudraient être, La femme et toutes les femmes.
Plus tard, les élèves ont organisé une marche silencieuse jusqu'à sa maison. C'était triste et beau et j'avais l'impression, à la fin, d'avoir déposé mon deuil au milieu des roses qui jonchaient la haie, d'avoir reconquis un peu de paix face à sa mère aussi, qui s'est montrée d'une générosité absolue, ayant un mot pour chacun, nous prenant dans ses bras les uns après les autres.
Aujourd'hui, ce sont les vacances. J'ai laissé, à midi, mon petit lycée déserté. Dans deux semaines, il faudra reprendre tous ensemble et nous regrouper autour de l'absence de L.