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la loutre à roulettes
15 décembre 2010

Comment devenir un monstre

Oui, je sais, c'est une question qu'on ne se pose pas souvent, pour soi du moins. Jean Barbe, jusque là inconnu au bataillon des écrivains pour moi, s'est penché sur la question et, s'il ne nous livre pas là sa recette du monstre, il produit un roman prenant, très bien construit et dont les réflexions sur l'humanité, la paix et la guerre sont plus profondes qu'il n'y paraît.

Tout d'abord l'histoire, très simple : un avocat blazé quitte sa femme et ses enfants qui ne retiennent plus vraiment son attention pour aller défendre un homme qu'on appelle Le Monstre dans un lointain pays d'Afrique qui vient de se pacifier. Comme le Monstre ne parle pas, il va devoir enquêter sur lui jusqu'à découvrir ce pour quoi il a réellement été engagé et redécouvrir l'humanité qu'il portait, bien enfouie en lui, sous des années de contraintes et de peurs fabriquées.

Ce que j'ai tout de suite apprécié, ça a été la construction, bien que simple elle aussi, du roman ; deux voix se croisent sans cesse, celle de l'avocat et celle du Monstre, jusqu'à ce que les épisodes qu'elles racontent se rejoignent en fin de roman. Pourquoi tant d'engouement pour ce procédé bien connu ? Parce qu'on ne sait pas qui parle ou pense au début, et que cette hésitation crée un suspense jusqu'à la fin du livre, qu'elle permet de ne pas s'en tenir au clivage Occidental civilisé / Africain déshumanisé par trop de guerres. C'est d'ailleurs la réflexion dérangeante et si peu manichéenne tenue par l'auteur sur le couple Guerre et Paix ( Ah ! Tolstoï, cher à mon coeur ! ), qui m'a retenue. De même que celle sur l'éducation et ce que les parents savent de leurs enfants, où je me suis reconnue en partie : " Pourquoi les gens s'imaginent-ils que les parents connaissent les blessures de leurs enfants ? Nos enfants, on tente de les faire rire, pas de les faire pleurer. On finit par savoir ce qui leur fait plaisir. Mais leurs larmes, on les évite. Je voulais le préserver ( le Monstre ) du chagrin, si bien qu'à la fin, quand Victor pleurait, je ne savais pas trop pourquoi. Parfois on devine. Au début. Mais plus le temps passe, et plus le chagrin de nos enfants nous devient étranger."

Autre excellent point : le style du roman. Le premier chapitre est un bijou que j'aurais aimé avoir écrit. Le reste du roman recelle des images aussi denses, n'ayons pas peur des mots, que celles de Céline ( même si elles sont moins nombreuses que dans Voyage au bout de la nuit ). Ainsi, celle de la nuit, de l'obscurité dans laquelle on s'enlise : " Privé aussi du sens de la vue, le temps acquiert une qualité liquide, comme si nous flottions dans une eau fortement salée, portés par un courant invisible." Et plus loin : " Il n'y aurait que du noir, une obscurité totale, absolue, éternelle, dévorante".

Je sais qu'après le roman de Mauvignier, ça paraît un peu lourd et que les fêtes de Noël ne se prêtent pas beaucoup à ce genre de lectures. Je vous le conseille donc à la rentrée, pour vous aider à faire passer les restes de bûche... Quant à moi, je ne lis évidemment pas que des romans sur la guerre, mais mes dernières lectures ont surtout été faites pour mes cours : rien que de très classique ou que de peu passionnant ( de l'héroïc-fantasy par exemple, pour un concours d'écriture collective. Sympa, mais pas d'une extraordinaire qualité... ).

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