cette enfance là

J'ai passé une grande partie de mon enfance à la campagne, dans la forêt. Je me souviens avec délectation des cabanes, de la cartographie mythologique des bois environnants, de la chasse aux champignons, de la tentative de potager, de ce ruisseau que nous avions surnommé la Bérézina, des cadavres momifiés de rats que papa y avait trouvés, des nids de poule, des écorchures aux genoux que nous prétendions guérir avec des fougères... Une enfance un peu robinsonne, au milieu de nulle part, vécue dans ce qui nous a paru la plus totale liberté. Quand l'idée d'avoir un jour des enfants à moi a pointé le bout de son nez, quelque part en l'an 2000, je vivais encore à Toulouse, pas encore avec le Castor d'ailleurs, et j'ai observé autour de moi. Tous ces enfants conduits dans des parcs où l'on ne peut jamais être seuls, où l'on ne peut pas se construire un toit d'enfant, rêver d'y dormir, faire "comme si on disait qu'on était des orphelins" et planifier une vie sans adultes à se nourrir de baies des bois. Brrr... Je ne voulais pas ça pour mes petits. J'étais triste à l'idée de ne pas être capable de leur offrir la liberté dont j'avais joui moi-même, mais je ne me voyais plus vivre en dehors de Toulouse. Le cordon était tout simplement impossible à couper.

  

Quelques douze ans plus tard, passés à la vitesse de la lumière, j'ai rencontré un mister Castor super fort, je l'ai convaincu qu'un puis deux marmots, c'était très beau, j'ai un grand trou dans le ventre que certains appellent un nombril et que moi j'appelle le manque de Toulouse. Je ne vis pas à la campagne, mais en banlieue parisienne, dans un de ces coins où de très beaux jardins publics fleurissent. Mes filles n'auront sans doute pas la même liberté que celle que j'ai eue, mais, grâce au jardin, elles ne se débrouillent pas si mal : les mains dans la terre, elles s'inventent des machines, des cabanes, des univers qu'adulte maintenant, j'épie en silence...