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la loutre à roulettes
22 mars 2011

Stacie

Je me dis souvent qu'il est bien déculpabilisant d'avoir finalement très peu d'impact sur mes élèves. Je me le dis souvent, mais pas aujourd'hui parce qu'aujourd'hui, j'ai vu Stacie sur youtube.

Stacie, c'est une petite minette que j'ai eu en première ST2S ( sanitaire et social ) il y a trois ans. Elle arrivait de Bac Pro, ce qui demande un certain courage et ce qui la mettait directement dans le panier des élèves qui ont des difficultés. Parce que du Pro à la première sans faire de seconde, c'est dur : il manque pas mal de nouvelles méthodes, il faut s'accrocher. Stacie était un peu larguée, un peu paumée, ce qui la rangeait dans la catégorie des emmerdeuses. Jusqu'au jour où on a appris que son copain la frappait et qu'on a déployé un espèce de cordon autour d'elle. Délivrée des coups, elle est restée prisonnière de ses rêves, ceux de la plupart des adolescentes : être repérée un jour et devenir une star. Stacie chantait tout le temps, d'une belle voix pure. Et candide. J'avais dû lui expliquer que les recruteurs ne passaient pas la porte des lycées et qu'il fallait restreindre son talent aux intercours. Oui, Stacie pouvait être une emmerdeuse à chanter pendant les cours, à crier, hurler, pleurer et se donner en spectacle. Mais Stacie était douée aussi et aurait pu avoir un Bac.

Sauf que les problèmes associés aux problèmes, ça n'aide personne à rester à l'école et que Stacie est repartie chez elle pour passer un Bac par correspondance. Mission impossible. Je l'avais croisée, il y a quelques mois, elle cherchait des pistes, se donnait des coups de pieds là où il le fallait. Je lui avais redit qu'elle avait des capacités, des facilités. Qu'il ne fallait pas baisser les bras. Parce que, toute emmerdeuse qu'elle était, j'aimais bien Stacie. Et aujourd'hui, je la découvre donc sur Youtube à faire des "ou" et des "ah" dans le clip d'un groupe d'une banlieue proche, où "bagnolle" rime avec "branlette espagnole". Mister Castor a eu beau me faire remarquer que ces jeunes gens ne commettaient aucune faute de syntaxe et qu'ils savaient tenir leur caméra, ça me dévaste de la voir jouer sans conviction les cagolles pour des types qui ont écrit une chanson bien misogyne. Tout ça pour quoi ? Pour chanter deux minutes dans un clip ?

Aujourd'hui, j'aurais aimé avoir plus d'impact. Aujourd'hui, je me prends dans la figure mon échec à changer les choses pour la plus grande partie de mes élèves. Aujourd'hui, je peux mettre un nom sur cette tristesse mâtinée de colère. Elle s'appelle Stacie.

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Commentaires
M
Malheureusement les enseignants ne sont qu'un petit morceau de la grande chaîne qu'est la vie de leurs élèves... tant d'autres choses dans notre société, dans l'influence de la télé -réalité- ou pas, dans leurs relations familiales ou autres, dans l'espoir qu'ils mettent en leur avenir, dans les lieux où ils vivent, etc... leur mettent des illusions dans la tête... quand ce n'est pas parfois le désespoir...<br /> L'enseignant, son boulot c'est d'essayer de leur donner les moyens de réfléchir, grâce à ce qu'il leur apprend, mais pas d'endosser une responsabilité qui n'est pas la sienne.
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