les âmes grises

Alors, évidemment, dans ce contexte, Les âmes grises de Philippe Claudel n'étaient peut-être pas le meilleur choix de lecture. L'histoire est terrible : ce roman, Le Rapport de Brodeck avant le Rapport de Brodeck, travaille sur un petit village rongé par la culpabilité collective et le doute, hanté par les morts de la première guerre mondiale. Suicides et meurtres sont nombreux et j'ai éclaté en sanglots à la fin de ma lecture.

Peut-être pas la meilleure lecture et, en fait, la meilleure car il y a des phrases qui font du bien. J'ai trouvé dans ce livre des passages d'une extraordinaire délicatesse. Lisez par vous-mêmes et voyez comme c'est beau :

"La maison semblait ensommeillée. Le toit d'une tourelle prenait l'eau. Une grande glycine qu'on laissait courir étouffait de ses ramures plusieurs persiennes. Quelques pierres d'angle éclatèrent sous le gel. La maison vieillissait comme les hommes"

"Le portrait de Clélis ornait toujours le vestibule du Château. Son sourire regardait le monde changer et sombrer dans l'abîme. Elle portait les habits d'un temps léger qui n'était plus. Au fil des ans, sa pâleur avait disparu et les vernis passés coloraient désormais ses joues d'une rose tiédeur."

Je sais que c'est rdicule, mais je chéris ce petit bout de phrase : "les vernis passés coloraient désormais ses joues d'une rose tiédeur". 

Je pourrais me lancer dans une étude plus complète, un bel article de critique littéraire, mais je n'en ai pas la patience.  J'ai retrouvé ici, en germe, ce que j'ai adoré auparavant : le lieu coupé géographiquement de la folie des hommes mais qui en est contaminé, la présence en filigrane des contes de fée magnifiquement retravaillés et de La Petite Roque aussi, je crois, le don des noms rythmiques et frappants, le goût du portrait enlevé...Je crois que le style de ce roman à lui seul est un petit miracle : qu'on y voit l'écrivain naître et trouver sa voix et que cette voix est puissante.